Jean Arthuis veut plus d’Erasmus+ pour les apprentis.
Ouvrir Erasmus aux apprentis et aux élèves de Lycée Professionnels, c’est le projet de Jean Arthuis, député européen de l’Alliance des Libéraux et Démocrates d’Europe (ALDE). Dans le cadre d’Europhonica, il nous a reçus dans son bureau pour parler du projet pilote Erasmus+ qui vient remplacer Leonardo. L’occasion aussi pour lui de pointer la frilosité des gouvernements nationaux.
Pourquoi ouvrir Erasmus aux apprentis et aux élèves de Lycée professionnels ?
D’abord je crois qu’Erasmus est un bon instrument pour aller à la rencontre des autres et de renforcer la citoyenneté européenne. Et on observe que ceux qui ont pu bénéficier de bourses Erasmus et qui ont pu accomplir leur mobilité pendant près d’un an, se protègent mieux contre les risques du chômage lorsqu’ils sont dans le monde du travail.
Ce qui me préoccupe c’est que le chômage des jeunes en Europe est très important : un jeune sur quatre environ et même plus d’un jeune sur deux dans certains pays. Sauf dans certains états qui ont une culture de l’entreprise très ancrée et qui pratiquent l’apprentissage, comme en Allemagne, aux Pays-Bas ou en Autriche. J’ai donc pensé qu’il serait intéressant de coupler apprentissage et Erasmus pour offrir une mobilité longue.
Erasmus+ permet déjà aux apprentis de partir pendant quinze jours à trois semaines. Mais l’immersion n’est pas assez longue. Nous ce que nous voulons favoriser c’est précisément que les apprentis, comme les étudiants, puissent bénéficier des bourses Erasmus.
Alors ce n’est pas simple avec 28 pays – peut-être 27 demain – qui représentent pour ainsi dire 28 statuts différents de l’apprentissage.
C’est pour cette raison que le projet Leonardo avait échoué ?
Je pense que cela a dut être un frein considérable mais il ne faut pas s’arrêter là-dessus. Si on fait l’Europe et son marché unique, c’est pour faire converger ses législations. Donc nous voulons lancer une première opération pilote, une expérimentation, pour évaluer les obstacles, les freins et pouvoir les réduire en faisant converger les différents statuts de l’apprentissage et aller vers un cadre unique européen. Ce serait en quelque sorte une première pierre dans ce qui pourrait devenir un droit du travail et de la formation professionnel en Europe !
Nous lançons cette expérimentation avec des Centres de Formations d’Apprentis (CFA) qui ont répondu à un appel d’offre lancé par les services de la commission au printemps dernier. Et plusieurs apprentis sont d’ores et déjà partis pour des mobilités longues. Ils bénéficient des bourses Erasmus et les CFA qui ont accepté de se lancer dans l’aventure bénéficient de crédits versés par la commission pour les défrayer.
Car quand un CFA entend accueillir des jeunes d’autres pays il doit s’engager à organiser des cours pour apprendre la langue du pays d’accueil et proposer un cycle de formations professionnelles qui enrichissent les savoirs de ce jeune. Il doit également avoir auprès de lui un réseau d’entreprises susceptibles de l’accueillir.
Mais comment faire cette fois pour que les différents statuts juridiques européens convergent et que l’apprenti puisse circuler sans entraves ?
Il est clair que les premiers bénéficiaires sont des pionniers et qu’ils essuient les plâtres liées aux incertitudes sur la couverture sociale, l’indemnisation, la reconnaissance des diplômes. Mais nous sommes dans le pragmatisme. Et je pense qu’un jeune qui fait état dans son CV du courage qu’il a eu de partir pendant un an, d’abandonner sa famille, sa copine, son copain pour participer à son expérience, révèle un trait de caractère valorisant pour son employabilité. Donc je n’ai pas d’inquiétudes à ce sujet.
Dans ce projet pilote il y a deux phases, la première c’est l’expérimentation sur le terrain (depuis la rentrée 2016). Puis nous lançons une deuxième vague en 2017 et tout laisse à penser que cela pourrait devenir un programme permanent de l’Union Européenne en 2018. La deuxième phase consistera donc à comparer puis à faire converger les législations pour faciliter la mobilité des apprentis.
« Je souhaite que nos chefs d’états et de gouvernements cessent de prolonger l’illusion qu’ils auraient encore entre leurs mains toutes leurs prérogatives de souverainetés. »
Le parlement européen propose à la commission d’ajouter 1.5 milliards d’€ pour l’employabilité de la jeunesse en Europe. Vous pensez que c’est assez ?
Je ne suis pas sûr que cela suffise. Déjà, je ne suis pas sûr que le conseil, c’est-à-dire les états membres qui financent le budget de l’union, manifesteront leur accord. Le parlement proclame une volonté d’agir pour les jeunes. Et en cela, nous (les parlementaires) avons raison. Mais à mon avis 1.5 milliards ne suffisent pas. On voit bien par exemple pour les bourses Erasmus que de nombreux étudiants sont dans l’incapacité de partir parce que les crédits actuels ne sont pas suffisants, même s’ils sont en progression.
Là il s’agit d’argent qu’on transfère vers les états en leur laissant le soin de prendre eux-mêmes des initiatives. Donc le parlement envoie avant tout un signal, c’est un cri que nous lançons pour que l’Europe assume pleinement l’emploi et la formation des jeunes. C’est l’avenir de l’Europe qui est en cause ici.
Jean Paul Denanot, député européen socialiste qui milite lui pour une garantie européenne de la jeunesse, a poussé un coup de gueule sur son site en accusant la commission de jouer au Bonneteau et de ne pas en faire assez pour sa jeunesse. C’est donc un constat que vous partagez ?
Disons que l’Europe n’a pas des moyens considérables. Et elle reste largement une addition d’égoïsmes nationaux. Ce n’est pas elle qu’il faut accuser, mais l’attitude des chefs d’état et de gouvernements, qui ne font pas grand-chose pour faire avancer l’Europe. Ils sont tétanisés par la montée du populisme dans leur pays. Ils achètent du temps parce qu’ils ont des élections demain matin. Donc ils ne prennent pas d’initiatives.
Nous sommes dans la mondialisation, elle est dangereuse. Imaginons qu’une crise financière comme celle de 2008 se déclenche. Elle serait à mon avis plus grave encore et elle aurait l’effet d’un tsunami économique et social. On voit bien que le monde est dangereux et que l’Homme porte atteinte au climat et qu’un jour peut-être la vie sera impossible sur Terre. La responsabilité politique à l’échelle de la planète n’a jamais été aussi forte. Bref, ce monde doit bien être organisé. Qui peut prétendre exercer cette organisation du monde, du moins l’influencer, sinon l’Europe ?
Donc je souhaite que nos chefs d’états et de gouvernements cessent de prolonger l’illusion qu’ils auraient encore entre leurs mains toutes leurs prérogatives de souverainetés pour lutter contre les paradis fiscaux, le terrorisme, les flux migratoires, la diplomatie… Il n’y a qu’en partageant ces souverainetés qu’on y arrivera.
Les problèmes actuels sont trop grands pour une seule nation, c’est ça ?
Absolument ! Et en ce moment on donne en spectacle l’impuissance politique. Et elle est insupportable. Elle fabrique le doute, la révolte, et bien souvent le populisme.
C’est le mot de la fin ?
Le mot de la fin c’est que l’on doit rester optimiste et confiant. Soyons lucides, courageux et pédagogues.