Romain Filstroff, de la chaîne Linguisticae, au Campus Lettres de Nancy !

 In Actus

Egalement connu par la sphère Internet sous le pseudonyme de Monté, Romain Filstroff est venu parler de sa démarche en tant que vidéaste ce mercredi 11 avril 2018. Une conférence organisée par M. Christophe BENZITOUN, maître de conférences en sciences du langage, maintenue malgré le blocage et qui a rassemblé une centaine d’étudiants, au sein de la proclamée « Université Populaire du Sapin », remarque qui ne manquera pas de faire sourire notre intervenant.

Dès le début de l’intervention, le thème est fixé : pour Romain, « l’étude de la vulgarisation est une source d’éducation populaire ».
Car c’est le but même de sa chaîne : Linguisticae a pour but de parler de linguistique, principalement en démontant les idées reçues, mais aussi en apportant un savoir accessible à tous sur différents sujets.

Ainsi, il défend l’idée que « même sans études universitaires, on peut produire un savoir de qualité » : bien que titulaire d’une licence LLCER, Monté n’a pas fini son Master, refuse qu’on le qualifie de linguiste puisqu’il n’en a pas le titre officiel… Et pourtant, ses contenus vidéos sont visionnés pendant des cours universitaires, ainsi que nous l’affirment les présents, enseignants comme étudiants !

 » Internet permet de rattraper un retard local : les campagnes sont délaissées, en termes d’activités culturelles et autres interventions « 

Avec un public très large allant de moins de 18 ans à plus de 60 ans, Romain a conscience de la portée de ses vidéos, et de leur importance. Toutefois, si le public est majoritairement satisfait de ses contenus, certains sujets irrite, notamment lorsqu’ils touchent à l’Histoire de France :

« La vulgarisation est la cible de l’extrême droite. Comprenez bien qu’expliquer que nos ancêtres ne sont pas les Gaulois… » Des rires nerveux, qui cachent une réalité plus sérieuse : L’intervenant explique que, comme d’autres, il reçoit des menaces de mort, car son contenu dérange l’extrémisme. Mais il se veut rassurant : « c’est bien que c’est utile pour le combattre ».

Malheureusement, comme évoqué, « Internet, c’est pas sérieux », pour beaucoup : les plaintes portées contre ces menaces ne sont que rarement traitées. Et pourtant, les dérives sévissent partout : un YouTuber, qu’il n’hésite pas à citer, a même créé un site permettant de créer des « milices spontanées ». D’où cette inquiétude chez les créateurs : les discours les moins avisés n’ont pas moins de portée que les contenus les plus riches en informations.

L’on dénonce même la « complaisance » de la plateforme : parmi les publicités qui défilent devant les vidéos, Monté a trouvé une publicité pour le gouvernement turc sur, selon ses mots, « pourquoi défoncer les kurdes ». On sent de sa part une volonté de choquer, de soulever l’opinion publique contre ces nombreux abus, là où les spectateurs n’ont pas l’air de s’inquiéter outre-mesure de leur gravité.

Abus qui font l’objet d’un développement à part entière : de nombreuses dérives sont à constater chez le géant de la vidéo, comme par exemple les « spécialistes du blâme » qui trouvent le moyen de détourner très facilement la monétisation du contenu d’un créateur en remettant en cause les droits de la vidéo, sans aucun fondement.

« YouTube est très contraignant, mais difficile de lutter sans un Norman ou un Cyprien à l’appui ».

Ainsi, pour de nombreux créateurs, « YouTube n’est pas économiquement viable », car son modèle semble s’essouffler, et n’a plus rien de gratifiant pour eux.

D’autant plus que Romain travaille beaucoup « en solo » : s’il a signé chez Endemol pour éviter d’avoir à gérer les comptes, les abus de droits et les négociations partenariales, par exemple, il reste « le côté artistique » : l’écriture (ainsi que les nombreuses cartes qu’il prend plaisir à dessiner pour illustrer ses contenus), le montage et une partie de la production, entre autres, font partie de son travail quotidien.

Et lorsqu’on lui demande de quantifier le temps de travail nécessaire, il répond tout simplement que cela lui est très difficile. Tout d’abord, parce qu’il y passe le plus clair de son temps, mais également parce qu’il ne compte pas toujours sa création comme du travail : « des fois, je vais me mettre à écrire par pur plaisir », effaçant la limite entre la passion et la profession.

« La distinction entre ma vie privée et ma vie professionnelle est très poreuse, mes amis sont mes collègues, et on parle en permanence de YouTube »

Ainsi, le travail de vidéaste requiert un investissement personnel « sept jours sur sept ». Monté pousse la transparence jusqu’à donner les détails de ses contrats avec Endemol ou la CNC.

D’autress questions sont alors traitées, ramenant le sujet à la politique : lorsqu’on demande ce qu’il pense de l’influence de la francophonie en Afrique, et de l’idée fraîchement émergée d’une « académie du Français en Afrique », il joue franc jeu et répond que, pour lui, « le Français est un grand moteur de destruction linguistique ». Une opinion qu’il accompagnera évidemment de nombreux arguments, traitant ainsi des différents rôles que peut avoir la francophonie dans le monde. Il soulève également les problèmes d’éthique chez un groupe de vidéastes/producteurs, notamment l’exploitation d’intervenants sous payés, et l’hypocrisie pour un groupe parisien de vouloir créer une institution en Afrique.

L’auteur de la chaîne Linguisticae ne mâche pas ses mots, exposant un argumentaire solide pour chaque point abordé : au sujet de l’essor d’autres plateformes et du délaissement progressif de YouTube, « personne ne peut prédire l’avenir d’Internet. j’aimerais qu’il existe une alternative publique, que les services publics réinvestissent dans le secteur ». En attendant, l’obligation de passer d’une plateforme à une autre, régulièrement, quand les unes deviennent obsolètes et les autres plus viables pour les créateurs et plus intéressantes pour les spectateurs, semble pour lui un « éternel recommencement », pour pouvoir vivre de ses contenus.
On parle alors de ses projets à venir, comme des vidéos sur les langages créés par l’auteur philologue Tolkien ; de ses projets passés, comme la série Calls, réalisée par Timothée Hochet, pour laquelle Monté a créé une langue démonique, malgré la réticence de la production pour allouer un budget spécialement dédié à cette « fantaisie du réalisateur ».

La conversation s’oriente alors vers des explications sommaires : comment peut-on créer une langue ?
Romain répond brièvement, évoquant la phonologie, l’importance du rythme, des détails comme l’utilisations des genres, des accentuations, et autres caractéristiques.

Une conférence de près de deux heures qui aura eu le mérite d’être très complète, avec un intervenant très proche de son audience, qui n’a laissé aucun secret derrière lui : Romain Filstroff n’aura pas manqué son apparition à Nancy, et vous invite pour conclure à ne pas hésiter : visitez la chaîne Linguisticae !

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