Encore un décès dans le rugby, l’accident de trop ? Interview de Thierry Philippe

 In Actus

Nathan Soyeux est mort ce dimanche à Dijon. Le jeune homme de 23 ans a succombé à ses blessures plus d’un mois après un choc reçu lors d’un match de rugby amateur. Thierry Philippe, membre de la Ligue Grand Est de rugby, a réagit à ce nouveau drame devant nos micros (interview à retrouver à la fin de l’article).

À l’occasion d’un tournoi de rugby entre étudiants d’écoles d’ingénieurs disputé le 24 novembre, le jeune Nathan, inscrit en cinquième année à l’Esirem de Dijon, a subi un lourd placage lors d’un match. Il a d’abord perdu connaissance avant d’être transporté au CHU de Dijon où il a été plongé dans un coma artificiel pendant une dizaine de jours. Dans un premier temps stable, son état de santé s’est finalement dégradé jusqu’à son décès dimanche dernier.

Quatre jeunes rugbymen sont morts depuis mai 2018 : Adrien Descrulhes (17 ans), Louis Fajfrowski (21 ans), Nicolas Chauvin (18 ans), et donc Nathan Soyeux (23 ans). Des décès mais aussi de nombreux accidents qui ont contribué à la baisse du nombre de licenciés de la FFR. En effet la Fédération Française de Rugby a constaté une baisse de près de 30 000 pratiquants depuis mai 2018.

Nous avons reçu Thierry Philippe dans l’émission Stud’Actu du mardi 8 janvier. Il est élu en charge de la commission sportive de la Ligue Grand Est de rugby. Cet ancien rugbyman a défendu les mérites du ballon ovale devant nos micros malgré une actualité tragique tout en réfléchissant aux solutions qui pourraient permettre aux jeunes joueurs Français de pouvoir exercer ce sport avec passion et sérénité.

Un « sport de combat » ?

Selon Thierry Philippe, et « malgré toutes les précautions qu’on essaye de prendre, le risque zéro n’existe pas et n’existera jamais à partir du moment où vous faites un sport de combat ». Le rugby est-il réellement un sport de combat ? C’est une question qui fait encore débat dans le monde de l’ovalie. En réalité, le rugby est un sport collectif de combat ; et c’est là toute la différence avec le judo ou la boxe par exemple. On attribue pas au rugby son caractère dangereux car on a plutôt tendance à le comparer au football ou au handball. Dans le rugby, le type de contact physique n’est pas le même que dans les autres sports collectifs populaires dans l’Hexagone, ce qui explique en grande partie pourquoi les décès sont largement plus pointés du doigt en France.

Une spectacularisation du rugby devenue trop violente

Thierry Philippe nous rappelle que le rugby n’est reconnu comme une pratique sportive professionnelle que depuis 1995. Ce changement de statut a engendré selon lui « une musculature beaucoup plus développée chez les rugbymen ». Au fur et à mesure, le sport à gagné en popularité et les placages au niveau de la poitrine ont été autorisés afin de rendre le rugby plus spectaculaire et le jeu plus agréable à regarder (cf. extrait audio ci-dessous).

 

Pour Thierry Philippe, il est nécessaire que les lois du jeu évoluent encore afin de considérer tous les types de gabarits. « Aujourd’hui on arrive à une certaine limite, ces morts sont là pour le prouver malheureusement […] C’est une forme d’injustice que de mourir en pratiquant sa passion » concède-t-il avec amertume, lui qui nous rappelle que les placages sont maintenant réglementés par la FFR et doivent se faire à la ceinture : « Le placage, […] s’il est effectué dans les bonnes conditions de sécurité, il n’est pas dangereux en soi ». Mais ça ne suffit pas !

Dans le milieu du rugby depuis quelques dizaines d’années, Thierry Philippe connaît de nombreux joueurs professionnels (cf. extrait audio ci-dessous). Même pour eux, qui pratiquent ce sport au haut niveau, le rugby est devenu trop violent : « Je connais personnellement Morgan Parra qui joue à Clermont-Ferrand, il me disait il y a pas très longtemps : « il va y avoir des morts » avant même que ceux-ci apparaissent ». Thierry Philippe redoute de plus en plus le jour où un joueur professionnel viendra à décéder en plein match international.

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L’exemple Néo-zélandais

En Nouvelle-Zélande, les jeunes joueurs sont classés non pas par catégorie d’âge, comme en France, mais par catégorie de poids (cf. extrait audio ci-dessous). Cette technique permet d’éviter par exemple qu’un garçon de 15 ans faisant 90 kilos ne plaque au sol un autre garçon qui ferait 40 kilos de moins pour le même âge. Mais pourquoi cette méthode n’est elle pas appliquée chez nous ? Thierry Philippe pense connaître la raison : « En Nouvelle-Zélande […] pour l’école, la fierté c’est le rugby. Donc vous avez tous les élèves de toutes les écoles qui pratiquent le rugby. À partir de ce moment là, vous pouvez facilement ranger les élèves d’une même catégorie d’âge par des catégories de poids. […] Chez nous, le problème, c’est qu’on ne pratique pas le rugby dans toutes les écoles ». Il nous explique qu’ayant déjà entraîner des catégories de jeunes U14 (moins de 14 ans), il sait que c’est là où les différences de poids et d’âge sont les plus fortes. « On serre un peu les fesses de temps en temps par rapport à ça » avoue-t-il, ce qui nous laisse imaginer et comprendre la crainte de certains parents qui refusent d’inscrire leurs enfants dans ces mêmes catégories. Mais d’un autre côté, dans l’Hexagone, la FFR n’a pas vraiment le choix car le vivier de jeunes joueurs est moins important que chez nos amis Néo-zélandais.

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Et pourquoi ne pas imposer des protections plus développées ?

Il existe déjà des protections dans le rugby. Les protège-dents, épaulières et casques en mousse sont devenus monnaie courante même au sein du monde amateur. Néanmoins et on le sait déjà, toutes ces aides ne permettent pas d’éviter des blessures comme des commotions cérébrales ou des saignements. On peut légitimement se demander si le rugby ne devrait pas s’inspirer du football américain, l’autre sport collectif de combat, avec un équipement plus lourd et plus développé pour protéger les joueurs. Thierry Philippe considère que, malgré le fait que cette idée revienne souvent, elle n’en demeure pas moins mauvaise : « À partir du moment où vous avez une protection, vous vous pensez invincible […] les jeunes notamment vont faire des choses qu’ils ne feraient pas s’ils n’avaient pas de protection. ». Porter un équipement représenterait en réalité un piège pour les jeunes joueurs qui deviendraient, selon lui, trop confiant une fois protégés. En effet, si les protections sont plus importantes au football américain, ce sport possède malheureusement lui aussi son lot de décès chez les jeunes.

L’inévitable métamorphose du rugby dans les prochaines années

Avec toute son expérience d’ancien rugbyman et de professeur d’EPS, Thierry Philippe nous propose une solution alternative ; ce n’est peut-être pas la solution la plus simple à appliquer mais c’est celle qui respectera au mieux la « pureté » originelle du rugby : « Apprendre le geste juste et aménager les règles […] pour les pratiquants actuels, il est plus valorisant de mettre quelqu’un sur les fesses que de réaliser la passe juste. ». Il devient urgent d’apprendre ou de ré-apprendre aux jeunes dans les clubs les valeurs du rugby. Lui-même lutte chaque jour pour prouver à tous ses élèves et à tous les pratiquants de la Ligue Grand Est, à quel point c’est important de réaliser le geste juste aux bons moments plutôt que de vouloir à tout prix « coucher » l’adversaire. Le défi est de taille pour la planète rugby qui devrait sans aucun doute se réformer afin de protéger nos jeunes pousses en devenir et de redorer le blason du rugby français.

Interview de Thierry Philippe à retrouver en intégralité à cette adresse :

https://hearthis.at/radio-campus-lorraine-mu/itvthierryphilippe/

 

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