Une dérive autoritaire du pouvoir inquiétante : la question des violences :
Le mouvement des gilets-jaunes plonge la France dans une situation quasi-insurrectionnelle. Pour répondre à la contestation, le gouvernement français fait preuve d’un niveau de violence extrême qu’on avait plus eu l’occasion de percevoir depuis les événements de Mai 68. L’exécutif n’hésite pas à bafouer certaines lois visant à protéger les manifestants pour museler l’opposition, cet usage a eu depuis le début du mouvement, en novembre, des conséquences dramatiques. De nombreux manifestants ont été très gravement blessés, c’est le cours de centaines de vies qui ont brusquement basculées le temps d’une manifestation. Face à ces scènes tragiques, le pouvoir n’a eu de cesse d’embraser le climat délétère à coups de formules provocatrices, jouant ainsi sans cesse avec un mouvement qui les dépasse.
Un bilan catastrophique qui fait honte :
De nombreux cas spectaculaires révèlent la réponse démesurée dont fait preuve le pouvoir envers les gilets-jaunes. C’est notamment le cas de David qui gardera des séquelles. Celui-ci s’était rendu à Paris le jeudi 1er décembre pour manifester avec les gilets-jaunes contre le gouvernement, constatant que la violence de la manifestation prenait une dimension chaotique, il a donc décidé de partir pour se préserver. Mais lorsqu’il s’est dirigé vers le CRS, mains en l’air, pour leur demander s’il pouvait le laisser passer, l’un deux lui aurait tiré dessus en plein visage à l’aide d’un LBD (lanceurs de balles de défense) à une distance d’environ 10 mètres. Dès lors, dans de telles circonstances, il s’est écroulé face contre sol, a été pris de convulsions et a craché ses dents. Les conséquences sont effroyables. David a perdu 4 dents, il devra porter un dentier durant toute sa vie, il a perdu une partie de sa gencive et de sa mâchoire. Sa vie a radicalement basculé suite à cet événement, il souhaite porter plainte contre l’Etat qu’il juge irresponsable.
Le cas de Florina, étudiante en philosophie est encore plus terrifiant. En effet, celle-ci était venue d’Amiens avec son compagnon pour assister à la manifestation du samedi 8 décembre à Paris. Ce serait dans les alentours de 14 heures qu’elle aurait reçu une balle de LBD en plein œil, la condamnant à être éborgnée, selon ses propos : « Sur le coup de 14 heures, des casseurs ont commencé à vandaliser un commerce en face de nous, de l’autre côté de l’avenue [des Champs-Elysées], ont commencé à mettre le feu, etc. Donc les policiers ont commencé à charger pour laisser passer les pompiers justement et là, c’est le dernier souvenir que j’ai parce que je m’effondre totalement. »
Le journaliste David Dufresne a produit un recensement des violences subies par les gilets jaunes dans un article paru chez Médiapart le 25 janvier 2019.Cette investigation, particulièrement édifiante, nous apprend qu’il y aurait 436 signalements relatifs à des blessures et à des intimidations. Encore plus grave, 192 blessures concernent la tête, 20 manifestants sont éborgnés, 5 ont leur main arrachée, sans oublier le décès d’une femme à Marseille qui a reçu une grenade lacrymogène en plein visage lorsqu’elle a tenté de fermer la fenêtre de son appartement. Les profils touchés par ces violences sont multiples et variés : 331 manifestants, 37 mineurs et lycéens, 12 passants, 49 journalistes et 11 médics ont été victimes des violences policières. Selon les chiffres officiels du Ministre de l’Intérieur datant du 15 février 2019, il y aurait : 1900 blessés, 8400 interpellations, 1800 condamnations, 243 signalements déposés à l’IGPN (police des polices), 9228 tirs de LBD et 1300 blessés parmi les forces de l’ordre. Cependant les chiffres concernant les forces de l’ordre sont très opaques et aucune distinction entre les blessés légers et graves n’est faite.
Les forces de l’ordre entravent à la liberté de travail des journalistes. Un journaliste a tenté de filmer l’interpellation de 3 mineurs en fin de manifestation le 8 décembre 2018 à Marseille. Des policiers présents sur place l’empêche d’exercer sa profession, l’un d’eux ira même jusqu’à proférer des menaces à son encontre.
Deux journalistes du Parisien ont subi les violences policières lors de la manifestation du 8 décembre à Paris, l’un a reçu une balle de LBD dans la nuque, l’autre au niveau du genou. Un autre journaliste a reçu une grenade de désencerclement alors qu’il était clairement identifiable et ne présentait aucun danger.
La France épinglé par la communauté internationale :
L’ONU a récemment condamné les violences des stratégies policières de maintien de l’ordre. Trois experts onusiens que sont : Seong-Phil Hong, rapporteur du groupe de travail sur la détention arbitraire, Michel Forst, rapporteur spécial sur la situation des défenseurs des droits de l’homme, et Clément Nyaletsossi Voule, rapporteur spécial pour les droits de réunion et d’association ont déclaré que : «Depuis le début du mouvement de contestation en novembre 2018, nous avons reçu des allégations graves d’usage excessif de la force », déclarant aussi que : « que la réponse disproportionnée à ces excès puisse dissuader la population de continuer à exercer ses libertés fondamentales. Il est très inquiétant de constater qu’après des semaines de manifestations, les restrictions et tactiques de gestion des rassemblements et du recours à la force ne se sont pas améliorées ». Ces experts des droits de l’Homme ont notamment tenu à préciser que : « Nous encourageons la France à repenser ses politiques en matière de maintien de l’ordre et encourageons les autorités françaises à ouvrir des voies de dialogue afin d’atténuer le niveau de tension et de reconnaître le rôle important et légitime que les mouvements sociaux jouent dans la gouvernance »
Des armes remisent en cause :
Le LBD est sujet à de nombreuses polémiques, nombreux sont ceux qui voudraient voir cette arme interdite comme le montre cette pétition rassemblant environ 160 000 signataires lancé par le neurochirurgien Laurent Thines déclarant les dommages causés par de telles armes sont comparables à des blessures de guerre. Toutefois le Conseil Constitutionnel à valider l’usage de ces armes le 1er février.
La communication du pouvoir, une véritable poudrière :
Au lieu de décrisper les tensions, l’exécutif les attise, ce comportement ne fera qu’envenimer la situation jusqu’au point de non-retour, arriver à ce stade, il sera impossible pour le gouvernement de contrôler la dimension hyper violente qu’est en train de prendre le mouvement. Le ministre de l’Intérieur est un symbole parfait de cette non-communication, le 1 février, lors d’une conférence de presse, il avait déclaré : « si la loi était respectée, il n’y aurait pas de blessés ». Ce ministre ne peut pas de façon raisonnable tenir de tels propos puisqu’il est parfaitement établi d’une manière irréfutable que la police à outrepasser un certain nombre de lois, notamment celle qui exige de ne pas tirer avec des LBD à hauteur du visage surtout lorsque l’individu en question ne présente aucun danger. Christophe Castaner ne s’est pas arrêté à cela, le 14 février il avait déclaré : « je ne connais aucun policier qui ait attaqué des gilets jaunes ». Or de nombreux témoignages, enquêtes et documentaires prouvent le contraire. Ces propos ne peuvent êtres pris autrement par les français que comme de la provocation. Il n’est pas concevable qu’un ministre représentant la Nation puisse tenir un tel discours face à une situation qui demanderait à être apaisée. Malheureusement ce ministre n’est pas le seul à attiser les colères, le 25 décembre 2018, Gérald Darmanin, le ministre de l’Action des Comptes publics a déclaré que : « ce ne sont pas des gilets jaunes qui ont manifesté, c’est la peste brune » avant de se rétracter lorsque les journalistes, animant l’émission du Grand Jury sur LCI, l’ont poussé à nuancer ses propos. Pire, lors de son déplacement en Argentine, le président Macron n’a pas tenu ne serait-ce qu’un seul mot à l’encontre de Jérome Rodriguez, manifestant qui a perdu son œil lors d’une manifestation à cause d’un tir de LBD. Le Président de la République a simplement tenu à dire : « je suis derrière les forces de l’ordre ». En somme, l’exécutif ne s’est jamais excusé auprès des victimes, laissant même penser que les individus blessés sont responsables de leur situation.
Une atteinte sans précédent à la liberté de manifester pour seule réponse :
Loi prétendument supposée lutter contre les « casseurs », la loi anticasseurs est pourtant critiquée de toute part. Ainsi, toutes les associations protégeant les droits de l’Homme et le Barreau de Paris s’érigent contre cette nouvelle loi jugée liberticide. Selon les mots des représentants des Nations Unies , la loi dite « anti-casseurs » vise « prétendument à prévenir les violences lors de manifestations et à sanctionner leurs auteurs », mais « certaines dispositions ne seraient, selon eux, pas conformes avec le Pacte international relatif aux droits civils et politiques auquel la France est partie ».Ainsi, « la proposition d’interdiction administrative de manifester, l’établissement de mesures de contrôle supplémentaires et l’imposition de lourdes sanctions constituent de sévères restrictions à la liberté de manifester. Ces dispositions pourraient être appliquées de manière arbitraire et conduire à des dérives extrêmement graves ».
Deux paragraphes du 2ème article de cette loi sont particulièrement sujet à de vives polémiques :
- « L. 211‑4‑1. – Lorsque, par ses agissements à l’occasion de manifestations sur la voie publique ayant donné lieu à des atteintes graves à l’intégrité physique des personnes ainsi que des dommages importants aux biens ou par la commission d’un acte violent à l’occasion de l’une de ces manifestations, une personne constitue une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public, le représentant de l’État dans le département ou, à Paris, le préfet de police peut, par arrêté motivé, lui interdire de participer à une manifestation sur la voie publique ayant fait l’objet d’une déclaration ou dont il a connaissance. »
- « Lorsqu’il existe des raisons sérieuses de penser que la personne mentionnée au même alinéa est susceptible de participer à toute autre manifestation concomitante sur le territoire national ou à une succession de manifestations, le représentant de l’État dans le département de résidence de la personne concernée ou, lorsqu’elle réside à Paris, le préfet de police, peut, par arrêté motivé, lui interdire de prendre part à toute manifestation sur l’ensemble du territoire national pour une durée qui ne peut excéder un mois. » paragraphe le plus emblématique de l’article 2 de la loi anticasseurs, celui-ci est le parfait révélateur de la philosophie de cet nouvel amendement. Rien ne précise qu’elles seraient ces « raisons sérieuses. »
Ce n’est plus le juge qui pourra décider si un manifestant peut ou non exercer son droit de manifester mais le préfet, représentant de l’Etat. C’est donc le pouvoir étatique qui pourra en fonction de son bon vouloir interdire le droit de manifester à un individu, tout cela sans preuves, puisqu’il est clairement indiqué dans ledit article que la décision est prise en vertu des observations qui seront faites. La décision d’interdire ou non de manifester dépendra entièrement de la subjectivité du préfet, de son ressenti par rapport à une situation. Cette loi en raison de sa grande imprécision est une aubaine pour les régimes quel que soit leur obédience politique. Elle laisse entrevoir des abus liberticides fragilisant une démocratie ne tenant plus qu’à un fil. Aujourd’hui personne ne peut anticiper les usages qui seront fait de cette loi. Il est donc tout à fait légitime de s’inquiéter de l’avenir de notre République ainsi que de nos libertés. En effet, rien ni personne ne pourra empêcher un préfet d’interdire de manifester à un groupe qui serait jugé trop radicale, toutes les excuses seront bonnes pour éteindre l’opposition.