Réforme des retraites : après trois mois, retour sur les points clés

 In Actus, Politique et Société

Au lendemain de la dixième  journée de mobilisation contre la réforme des retraites. Revenons sur cette séquence, et les grandes étapes de ce mouvement social.

Contextualisation de la contestation

Dès le 19 janvier, la mobilisation contre le projet de loi de financement rectificatif de la sécurité sociale de 2023 (PLFRSS) s’engageait. Ce projet de réforme a, dès sa présentation, fait face à de grandes contestations. Les premiers à critiquer cette réforme, ce sont les syndicats. Ils n’ont pas été entendus par le gouvernement durant l’étape de négociation.   

Selon les syndicats, l’opposition et un grand nombre d’économistes, cette réforme demande des efforts uniquement aux travailleurs. Un mouvement intersyndical historique se mobilise, rassemblant l’ensemble des associations de représentants des salariés (CGT, CFDT, Sud, Solidaire, etc.). Ce regroupement est particulier car il rassemble des syndicats habituellement opposés sur les modes d’actions dans des contextes sociaux tendus.   

Une banderole "60" dans la fontaine au centre de la Place d'Italie. En arrière plan une foule Photo : Clément Roudot
Une banderole « 60 » dans la fontaine de la Place d’Italie. Manifestation contre la réforme des retraites du 27 février 2023. Photo : Clément Roudot

Un gouvernement borné ?

Suite à cette première mobilisation et à une contestation grandissante dans le pays, les membres du gouvernement se sont déployés sur les chaînes de radio et de télévision pour défendre leur réforme, se défendant qu’il s’agît d’une « réforme de justice sociale ». Néanmoins, la pédagogie du gouvernement ne prend pas. Après trois jours de matraquage, les sondages ne bougent pas : 65% des Français sont contre la réforme.(Ipsos.). Alors le discours change. Est mis sur la table la « nécessité de faire des efforts » par les membres du gouvernement et du groupe parlementaire Renaissance. 

Néanmoins, les contestations continuent et de nouveaux rassemblements sont organisés durant toute la période de l’examen du texte à l’Assemblée nationale. (19 et 21 janvier ; 7, 11 et 16 février, 7, 8 et 9 mars). La durée d’examen est jugée insuffisante par les partis d’opposition.   

Véhicule législatif contesté

La réforme des retraites fait partie d’un projet de loi de financement rectificatif de la sécurité sociale. Cela implique une durée d’examen accélérée : le texte a 20 jours pour passer à l’Assemblée, puis 10 jours au Sénat. L’opposition conteste l’emploi de ce « véhicule législatif ». Elle fustige que le temps de débat pour une réforme si importante devrait être allongé. D’autant plus, que les débats au Sénat ont été accélérés limitant le nombre d’interventions et d’amendements par les oppositions. Le vote a, lui aussi, été accéléré avec l’utilisation de l’article 44-3 de la Constitution. Il oblige les sénateurs à se prononcer sur l’ensemble du texte, ce qu’on appelle un « vote bloqué ».

Cette réforme n’a que peu d’impact sur le budget de la Sécurité Sociale pour l’année 2023. Son impact ne viendrait qu’après plusieurs années d’application. En outre, les projets de loi de finances ne sont pas soumis à la restriction du nombre de « 49.3 » pouvant être utilisés par la Première Ministre. En effet, depuis la révision constitutionnelle de 2008, l’Exécutif ne peut faire usage de l’article 49 alinéa 3 de la Constitution seulement une seule fois par session parlementaire. Une session parlementaire courant du « premier jour ouvrable d’octobre au dernier jour ouvrable de juin », soit un maximum de 120 jours par an.  

Un mouvement ancré

La particularité du mouvement contre la réforme des retraites, c’est qu’il est implanté dans tous les territoires. Il ne se limite pas à quelques petites manifestations dans des grandes villes comme Metz, Nancy ou Strasbourg. Il y a également des mobilisations dans des villes moyennes ou des petites villes. Dans la région, nous pouvons penser à Sarrebourg, Toul, Saint Dié-des-Vosges, Bar-le-Duc, Thionville… Des communes qui, habituellement, ne font pas face à des mobilisations d’ampleur et répétées. 

L’engagement de ces villes a probablement joué dans les débats parlementaires. Les députés des plus petites circonscriptions, notamment celles avec des députés les Républicains, ne voulant pas aller à l’encontre de l’opinion publique, se sont dit prêts à voter contre la réforme et ce, malgré les annonces d’Éric Ciotti, Président du parti de Droite.  

L’Assemblée nationale avait 20 jours pour statuer sur le texte mais n’a pas pu le voter en Première Lecture. Le Sénat, lui, a voté le texte sans trop de surprise. En effet, la chambre est majoritairement composée de Sénateurs et Sénatrices issus de la majorité ou des Républicains. Cette chambre est moins soumise aux fluctuations de l’opinion, car ses membres sont élus par les maires.  

Arrivée sur la place d'Italie à Paris d'un manifestant de la CGT cheminots de Thionville, un fumigène à la main. // Photo : Clément Roudot
Un manifestant de la CGT cheminots de Thionville dans le cortège parisien du 27 février. Photo : Clément Roudot

49.3, la goutte de trop ?

Après cette première session parlementaire, le texte est passé en Commission Mixte Paritaire : sept sénateurs et sept députés ont débattu afin d’éditer une réforme qui devait être votée par l’Assemblée-Nationale. Ce vote n’a jamais eu lieu : incertains d’avoir convaincu l’ensemble des députés du groupe les Républicains, l’Exécutif a fait le choix de passer par le 49-3, estimant qu’il y avait peu de chances que la responsabilité du gouvernement soit engagée par le vote majoritaire d’une motion de censure. Le vote final s’est joué à neuf voix près sur la motion de censure signée par LIOT, un groupe indépendant de députés.  

Le choix d’avoir recours à l’article 49-3 de la Constitution par Élisabeth Borne, Première Ministre, a enflammé les foules. Le mouvement qui semblait se réduire a regagné en intensité dès jeudi 16 mars, avec notamment des rassemblements Place de la Concorde, à Paris.  

Absence de vote, ça dérape

Après cette annonce, l’intersyndicale a, à nouveau, appelé à une mobilisation le 23 mars. Elle a réuni 1,09 million de personnes selon la préfecture et 3,5 millions selon la CGT. Des chiffres qui sont proches de ceux du rassemblement du 7 mars dernier.  

Cette dernière manifestation a marqué un tournant dans la mobilisation intersyndicale. Les violences au sein des manifestations se sont accrues, notamment sur le plan de la stratégie de maintien de l’ordre. Le préfet de Police de Paris a notamment annoncé la saisie de l’Inspection Générale de la Police Nationale, à la suite des révélations d’enregistrements audios dans le journal Le Monde [article réservé aux abonnés] et dans Loop-sider, concernant les propos et actes de la Brigade de la Répression de l’Action Violente Motorisée (BRAV-M) sur un jeune manifestant. Les actions de certains groupes en marge du cortège ont également créé des dégâts, notamment en incendiant des poubelles, kiosques, véhicules… Il y a, dans le mouvement social, une escalade de la violence. qui devient inquiétante, notamment pour les observateurs de la Ligue des droits de l’Homme qui constatent des procédures sortant du cadre employé par les forces de l’ordre.  

Policiers des Compagnies Républicaines de Sécurité place de l’Opéra à Paris. Manifestation contre la réforme des retraites du 23 mars 2023. Photo : Clément Roudot

La jeunesse indignée

Dès le 21 janvier, les jeunes se mobilisent. La France Insoumise et un front de syndicats étudiants unis, avaient appelés à manifester. Cette mobilisation forte des lycéens et étudiants s’explique de plusieurs manières. D’une part, ils sont solidaires avec leurs aînées, beaucoup ont des parents proches de la retraite. D’autre part, si les gens travaillent plus longtemps, le marché de l’emploi risque d’être saturé au moment de leur arrivée dans la vie active. Ce qui aura pour conséquence un taux d’emploi des jeunes plus faible. La précarité déjà élevée de cette tranche de la population risquerait d’augmenter.

Au-delà de la question de la précarité, se trouve un autre sujet : le climat. Dans une volonté de faire face aux changements climatiques, pour certains faire travailler les gens plus longtemps est une aberration. Travailler plus revient à polluer plus, et donc à ne pas agir pour cette question clé.  

Bien qu’elle soit forte depuis le début, la mobilisation des jeunes contre la réforme des retraites s’est renforcée. La cause : le 49-3, le passage en force de l’exécutif a élargi les raisons de manifester. Il y a au-delà de défendre les travailleurs, une volonté de défendre la Démocratie, en dénonçant les procédés politiques, et aussi les violences policières.

La mobilisation étudiante se traduit notamment par des assemblées générales et des blocus d’établissements. Ces actions ont lieu dans toute la France. La fac de Lettre de Nancy a notamment été bloquée par des étudiants le 14 février, et celle de Metz ce jeudi 29 mars. 

Certains établissements ont été bloqués pour la première fois, parmi eux : Assas, Lyon 3 ou encore l’Université Paris Dauphine. Le 23 mars, l’Union Nationale des Étudiants de France (UNEF) comptait 500 000 jeunes mobilisés et 48 établissements bloqués.

Méprisant et méprisé

Emmanuel Macron a été interviewé au journal de 13h de TF1 et France 2 le 22 mars. Il a condamné les « factieux et les factions ». Son passage télévisé a, selon Philippe Martinez ancien secrétaire générale de la CGT « attiser la colère ». Il apparait déconnecté, voire méprisant pour les manifestants et soutiens du mouvement social. Du côté de l’Exécutif, Gérald Darmanin assure son soutien aux forces de l’ordre. Il appelle l’ensemble des corps politiques à condamner les actions violentes de la part des manifestants. 

L’affirmation de la part du chef de l’État selon laquelle le texte va continuer « son cheminement démocratique » a notamment fait réagir dans l’opposition. Depuis le 23 mars, jour des dernières mobilisations, le texte est en examen par le Conseil Constitutionnel, qui vérifie que la réforme soit en accord avec le texte de loi suprême du pays.  

La loi sera très probablement promulguée. Les seuls points qui pourraient être contestés sont d’ordre technique principalement. Notamment sur le véhicule législatif choisi par l’exécutif pour cette réforme des retraites. En soit, il n’est pas anticonstitutionnel de reculer l’âge de la retraite.  

La mobilisation continue

Au-delà du Conseil Constitutionnel, les opposants à la réforme des retraites encouragent le mouvement à se poursuivre. Ils espèrent que comme en 2006  lors des mobilisations contre le Contrat de Première Embauche (CPE) du gouvernement De Villepin, qu’Emmanuel Macron cédera face à la pression. Et que face à l’ampleur des manifestations, il n’appliquera jamais cette réforme.  

Les syndicats veulent continuer ce mouvement. L’intersyndicale a déjà annoncé une prochaine mobilisation le jeudi 06 avril. Des manifestations sont à prévoir à Metz et Nancy.

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