À l’UFR SHS de Metz, le retour au distanciel : « C’est déjà arrivé que je m’endorme devant mes cours »

 In Actus, Vie étudiante/université

Alors que l’année universitaire touche à sa fin, un goût amer plane sur certain·e·s étudiant·e·s et enseignant·e·s de l’Université de Lorraine. La pratique des cours à distance menée au sein du département sciences humaines et sociales à Metz depuis deux ans a révélé des fragilités dans sa gestion et ses pratiques, laissant des impressions mitigées.

Une enquête de FALEH Kadija, Etudiante en L3 information et communication, au sein du département SHS de Metz

 

Simulation réalisée en Avril par Faleh Kadija sur la plateforme de visioconférence utilisée par les étudiant·e·s pour suivre leurs cours à distance.

 

Les étudiant·e·s interrogé·e·s lors de cette enquête ont tous·tes souhaité conserver l’anonymat et dont leurs prénoms ont été changés. 


 De Marseille à Strasbourg, les universités semblent succomber aux pratiques de l’apprentissage à distance. L’Université de Metz n’y échappe pas. Depuis deux ans, pour cause de travaux, l’Unité de Formation et de Recherche (UFR) sciences humaines et sociales (SHS) a mis en place ces méthodes, confrontant plus de 4 000 étudiant·e·s au sein de cette université publique. Cependant, l’UFR a géré l’enseignement à distance en combinant cours en présentiel et à distance. Malgré cela, cette approche ne semble pas convenir à toutes et tous les étudiant·e·s et enseignant·e·s. 

« C’est déjà arrivé que je m’endorme devant mes cours (en distanciel) car j’ai eu du mal à rester concentré. Il y avait mon lit pas loin et les cours manquaient d’interaction », confie Léo, étudiant en troisième année de licence humanités. Pour lui, peu d’enseignant·e·s s’efforcent de faire interagir les étudiant·e·s. « J’ai peur que les cours en distanciel, à force, se banalisent et deviennent une méthode d’enseignement. Ça peut être une solution par nécessité mais pas la solution miracle », explique-t-il face à cette pratique qui se répand un peu partout dans l’enseignement supérieur.

Pour beaucoup d’étudiant·e·s comme Léo, les défis de l’apprentissage à distance se traduisent par des problèmes de concentration ou par la pression que ces pratiques entraînent.
« L’interaction qu’on a en distanciel est tellement différente qu’en présentiel. Il n’y a pas de sourire, très peu de temps de pause. Un jour, un prof nous a donné 5 minutes de pause, car on avait du retard sur l’avancée du cours », regrette Maryam, étudiante en deuxième année de licence en sociologie. Pour cette dernière, les difficultés liées à ces pratiques résident aussi dans les nouveaux usages qu’entraînent les cours en distanciel : « Même la prise de notes. C’est compliqué de suivre le cours sur mon ordi et de prendre les notes. »

« J’ai décidé d’arrêter mes études parce que l’enseignement n’était plus là. »

Pendant cette enquête, nous avons pu échanger avec plusieurs étudiant·e·s qui ont fait part de leurs difficultés d’apprentissage lors des cours en distanciel, dont une étudiante qui a arrêté ses études en cours d’année car la situation devenait insupportable. « J’ai décidé d’arrêter mes études parce que l’enseignement n’était plus là. C’est la façon dont les cours nous sont donnés qui pose un problème. Les enseignant·e·s ont gardé les méthodes qui ont été mises en place durant une période de crise sanitaire alors que maintenant c’est fini. Ils auraient pu s’améliorer, ils avaient eu du temps pour ça. Nous sommes en 2024, ils auraient pu faire beaucoup plus. En distanciel, nous ne pouvons pas suivre 8 heures de cours dans une
journée. Des tensions se font ressentir ! On devient fou pour suivre les cours », dévoile Lucie, ancienne étudiante en licence Information et Communication.

A l’inverse, pour Mohamed, qui a suivi toute sa L2 en théologie à distance, cette modalité d’enseignement présente des avantages. « C’est toujours mieux d’avoir les professeur·e·s à proximité lors des cours en présentiel. On peut poser des questions et interagir directement. » Interrogé sur son expérience, Mohamed exprime des sentiments mitigés. Il reconnaît toutefois que le distanciel lui offre une opportunité entre ses études et son job : « Cela me permet d’accéder au cours, alors que si les cours étaient exclusivement en présentiel, je ne pourrais pas y assister tous les jours. »

 

Université de Lorraine, bâtiment Science Humaine et Sociale, couloir en travaux, avril 2024, à Metz. par Faleh Kadija.

Université de Lorraine, bâtiment Science Humaine et Sociale, couloir en travaux, avril 2024,à Metz. par Faleh Kadija.

Travaux obligent


Malgré de multiples sollicitations, peu d’enseignant·e·s-chercheur·euse·s au sein de l’UFR SHS ont accepté de répondre à notre enquête. « Le distanciel me semble être utilisé comme un outil de gestion des contraintes fortes, estime Jean Matthieu Méon, responsable de la licence Information-Communication. S’il y a des problèmes liés aux cours en ligne pour les étudiant·e·s, il faut aussi nous les faire remonter de manière régulière. En tant que responsable d’année et de licence, je n’ai eu aucun retour là-dessus. Aucun étudiant·e n’est venu·e me dire quoique ce soit. Je ne veux pas dire qu’il n’y a pas de problème, mais c’est difficile de le percevoir. »

Après la crise sanitaire du COVID-19, l’UFR SHS a dû faire face au plan de relance, qui a imposé des travaux et créé des contraintes physiques, notamment l’indisponibilité temporaire des salles de classe au sein du bâtiment SHS. Pour assurer la continuité des cours malgré ces limitations, l’établissement a rapidement pivoté vers l’enseignement à distance. Mais la nécessité de repenser les modalités d’action, les activités et les ressources disponibles pour l’enseignement s’impose pour l’avenir comme un impératif majeur.

De même, cette situation renforce les inégalités sociales, donnant lieu à une forme de discrimination envers les étudiant·e·s déjà en situation de handicap ou issu·e·s de milieux défavorisés. « Faire cours à distance est bien plus qu’une question de présence à distance de l’enseignant et des étudiant·e·s, il s’agit de repenser l’activité pédagogique à l’aune des situations offertes par la distance apprenant·e·s/enseignant·e, » témoigne un enseignant·e·chercheur travaillant au sein de l’UFR SHS, sous couvert d’anonymat.

Prise en compte des critères sociaux et psychologiques

« Non, pas du tout. Nous n’avions tout simplement pas d’alternative. J’ai même exploré des options inhabituelles comme solliciter l’armée, les municipalités, et même d’autres
établissements scolaires pour obtenir des locaux supplémentaires. » Questionné sur l’inclusion des critères sociaux dans cette transition, l’ancien directeur de l’UFR SHS, Pierre Moulin, a été
franc. Les critères sociaux n’ont pas été pris en compte, tout comme les critères psychologiques, dans cette décision.

Pourtant, il a exprimé des préoccupations particulières concernant la santé mentale des étudiant·e·s après la pandémie : « Je trouve qu’on a beaucoup d’étudiant·e·s qui sont fragiles psychologiquement, maintenant. Ça fait 30 ans que j’enseigne, je crois que je n’en ai jamais vu autant qui présentent des fragilités, pour ne pas dire des troubles psychiques. Surtout en tant que directeur, j’ai quand même une vue sur les problèmes de promo. » En 2021, une enquête de Santé publique France révélé qu’un jeune sur cinq souffre de troubles dépressifs.

En termes de planification future, Monsieur Moulin a indiqué qu’une année blanche permettrait un retour à une capacité d’accueil à 100%, mais a averti que des travaux intérieurs l’année
suivante pourraient nécessiter de nouvelles adaptations. La possibilité que l’établissement soit contraint de revenir en partie aux cours en distanciel dans les années à venir, notamment de la rentrée 2025-2026 à 2026-2027, est une réalité à considérer.

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