« Les Misérables » : avant-première et rencontre avec Ladj Ly et Djebril Zonga
Dans le cadre de Ciné-Cool et grâce à notre partenaire les cinémas UGC de Nancy et de Ludres, l’équipe de Box’o Film a pu assister à l’avant-première du film : Les Misérables de Ladj Ly qui a reçu le prix du jury au festival de Cannes 2019. Le réalisateur ainsi que l’acteur Djebril Zonga étaient donc présents ce jeudi 29 août pour présenter le film.
Dans Les Misérables, Stéphane (Damien Bonnard) un policier arrive de Cherbourg pour intégrer la BAC (Brigade Anti Criminalité) de Montfermeil où il va faire équipe avec Gwada (Djebril Zonga) et Chris (Alexis Manenti). Très vite Stéphane observe que les méthodes de Gwada et surtout d’Alexis sortent des cadres, jusqu’à ce que se produise l’irréparable. Le sujet de ce film avait déjà été mis en scène dans un court-métrage du même nom avec lequel Ladj Ly avait été primé au Festival International de Court-Métrage de Clermont-Ferrand.
La production du film a connu des difficultés, comme l’explique Ladj Ly :
« C’était un parcours du combattant, on n’a aucune chaîne qui nous a suivi, le CNC ne nous a pas suivi, heureusement Canal et la région sont arrivés, parce qu’avec le peu d’argent qu’on a eu on était au minimum, moi j’étais dans l’urgence je voulais absolument tourner l’été, c’est un film d’été, donc on s’est dit voilà, avec le peu qu’on a, on va le faire ».
Et on ne peut que le féliciter d’avoir tenu à réaliser le film malgré tout car celui-ci est d’une incroyable qualité. Avec le prix du jury au Festival de Cannes 2019, l’avenir et le succès du film sont désormais assurés. Preuve en est, que le film intéresse aussi à l’international notamment aux États-Unis :
« Spike Lee a vu le film et a accroché, il a vraiment aimé le film et donc on lui a demandé de le parrainer pour les oscars et il a accepté. C’est cool car il le fait voir à tout le monde. J’ai mon producteur qui l’a fait voir à Oprah Winfrey qui était sous le choc… Après les Oscars ce n’est pas encore gagné ».
Pour les Oscars, on ne sait pas mais vous pouvez déjà vous attendre à voir le film récompensé aux Césars.
Ladj Ly fait parti du collectif d’artistes Kourtrajmé qui est très actif dans le milieu audiovisuel, il vient du cinéma documentaire et amène avec lui un souci du réel qui est constant dans le film. Le film est ainsi inspiré par les violences policières commises par deux policiers en 2008, sur un jeune homme d’une vingtaine d’années, que Ladj Ly avait réussi à filmer. L’action se passe à Montfermeil où le réalisateur a grandit et où il habitait encore récemment (avant la destruction de l’immeuble), la séquence de fin a même été tournée dans sa cage d’escalier. De même, il n’y a que trois acteurs professionnels dans le film, le reste sont des comédiens amateurs. Le réalisateur explique son choix :
«Pour moi c’était important de travailler avec les habitants, de les impliquer car c’est leur histoire. Les ¾ des comédiens sont des non-professionnels, pour eux c’était une première expérience donc c’était intéressant de travailler avec ces jeunes là. Je trouvais enrichissant de leur expliquer comment ça se déroulait, qu’est ce qu’une séquence… Le tournage s’est super bien passé, tout le monde s’est bien entendu et tout le monde était content d’être là, de le faire, il y avait une énergie incroyable. »
Un message politique
Le film est l’occasion pour Ladj Ly de déconstruire les clichés sur les banlieues et de faire passer un message politique.
« On entend beaucoup parler des quartiers à travers les politiques, à travers les médias, mais les ¾ des gens ne savent pas réellement comment cela se passe dans ces quartiers et moi, j’avais envie d’expliquer, en tous cas de donner mon point de vue, car moi je suis né à Paris certes, mais j’ai grandi en banlieue, je connais très bien le territoire, ça va faire plus de vingt ans que je travaille là bas, c’était important d’expliquer comment ça se passe de l’intérieur, sans rentrer dans les clichés. Je pense qu’aujourd’hui c’est important de le faire, je pense qu’un film c’est avant tout un cri d’alerte, que j’adresse avant tout aux politiques. » Ce cri d’alerte c’est celui du traitement des populations qui vivent dans ces quartiers délaissés par les pouvoirs publics et qui sont confrontées à une autorité policière défaillante selon le réalisateur : « Nous on part du principe que, déjà le premier problème, en tous cas dans ces quartiers, c’est qu’on à affaire à des policiers qui ne sont pas spécialement formés. […] Bien sûr qu’on a besoin d’une police dans ces quartiers, mais on a surtout besoin d’un police qui est formée, d’une police adaptée. C’est pour ça que moi je pousse cette nouvelle génération à aller s’inscrire dans les écoles de police, à devenir policier, parce qu’aujourd’hui on en a besoin, on a besoin de policiers qui comprennent comment ça se passe sur place, qui comprennent les habitants et aujourd’hui ce n’est pas le cas. On a des policiers qui arrivent de l’autre bout de la France, qui viennent d’une situation totalement différente et se retrouvent livrés ici, forcément ça ne peut que dégénérer. C’est pour ça que dans mon film la faute, je ne l’a met sur personne, clairement je n’ai pas voulu porter de jugement sur mes personnages, c’était important, j’ai voulu juste décrire une situation et décrire comment cela se passe de l’intérieur, sans prendre partie, ni pour les jeunes, ni pour les policiers et être le plus juste possible ».
Interrogé sur le titre de son film, le réalisateur précise le groupe qu’il désigne par le terme de misérables :
« Je pars du principe que les misérables ça englobe les habitants et les policiers, clairement je les mets tous dans le même lot. C’est des gens qui évoluent dans cet univers, qui est un univers assez compliqué, un univers qui a été presque laissé à l’abandon par les pouvoirs publiques, donc les misérables c’est tout le monde. »
C’est donc le milieu qui influe les personnages, au risque de devenir complètement aliénant :
« Ce que ça raconte aussi c’est qu’on est dans un quartier qui est complètement clôturé j’ai envie de dire, c’est un quartier vraiment où on a l’impression d’être étouffé, d’être entre nous. Les grandes tours de dix étages avec plus de 300, 400 personnes par tour, il y a ce côté où on est oppressé et c’est important de rester dans cette espèce de huis-clôt, on est à l’intérieur du quartier. De temps en temps on survole la cité et on comprend vraiment que c’est un petit bloc de quelques tours. »
C’est ce microcosme qui évolue durant les deux jours qui constituent le temps du film. Dans la première partie, on est dans la découverte de ce microcosme, le regard est presque contemplatif puis, dans la seconde partie le rythme accélère alors que les événements s’enchaînent, la contemplation est finie.
Loin d’être un film de niche
« C’est un film tourné en banlieue mais j’estime que c’est un film universel. Clairement c’est un film qui parle à tout le monde : tu peux être au Brésil dans les favelas, on peut se reconnaître dans les ghettos aux États-Unis, en Afrique ou ailleurs, c’est un film universel, ça parle de la montée de la misère, la misère sociale, ce n’est pas un film de banlieue.»
De même, le film a vocation à ouvrir le dialogue entre tous « L’idée c’est que chacun se remette en question et qu’on puisse trouver des solutions tous ensemble » répète le réalisateur. Les Misérables serait donc un électrochoc nécessaire ? « Mon film c’est un film d’espoir, même s’il est très dur, même s’il est très violent, c’est un film d’espoir. La situation est critique, ça risque d’exploser, que fait-on pour trouver des solutions ?»
Nina Rebel Faure