Une nouvelle ère du cinéma de genre français (Festival du Film Fantastique de Gérardmer 3/3)
Plus de dix ans après ce que les cinéphiles appellent les French Frayeurs, le cinéma français semble reprendre la route du genre depuis la sortie de Grave en 2017. Les comédies classiques font de moins en moins d’entrées, et de plus en plus de réalisateurs proposent des scénarios plus originaux et plus diversifiés. Zoom sur trois films diffusés lors de la 27ème édition du Festival du Film Fantastique de Gérardmer.
Le plus gore: Revenge
Présenté dans la catégorie Hommage au cinéma français, le premier long-métrage de Coralie Fargeat signe pour la deuxième fois sa présence au festival (pour rappel, il était en compétition lors de l’édition de 2018).
Dans ce film, la jeune mondaine Jennifer passe ses vacances dans une maison au cœur du désert avec Richard, son amant déjà marié et père de famille. Les amis de ce dernier arrivent plus tôt que prévu pour la partie de chasse annuelle. Les choses dérapent vite: la jeune femme est violée par l’un d’eux. Jen sera dissuadée par son homme de partir sans rien dire contre de l’argent. Elle va refuser et va menacer de tout révéler à sa femme. Laissée pour morte, la jeune femme renaît tel un phœnix, et la vengeance va être très sanglante.
Pour un premier long-métrage, la réalisatrice offre une réalisation très propre. Le film visuellement est d’une beauté considérable: des plans larges sur un désert infini, des travellings bien menés, une photographie sublime, une lumière estivale qui contraste avec la violence qui s’abat entre les protagonistes, et du sang à n’en plus finir et utilisé de manière totalement exagérée. Toute cette hémoglobine finit par faire partie du décor: il y a du sang partout, ça n’en finit pas, ça explose et ça gicle de partout.
C’est un film ultra-violent, gore, atroce et horrible. Rien n’est fait à moitié, et la réalisatrice ne va pas chercher à cacher les effusions de sang: on a droit à de jolis gros plans sur un morceau de verre enfoncé dans le pied, ou bien sur un pal qui traverse l’abdomen.
Ce serait une erreur de ne pas parler de la musique: l’OST signée Rob est perçante, mémorable et bonne à écouter en boucle. Elle donne encore plus de rythme aux scènes tant elle est puissante à souhait, et nous partage la force, la rage et la puissance de l’héroïne. La musique tout comme le film prend aux tripes et accentue cette violence permanente. La musique accompagne la tension dramatique du film, nous crispe encore plus. Elle apporte encore plus de pression à cette chasse sanglante et accentue le nœud qui se forme dans notre estomac.
Revenge est un film à voir pour tout fan de cinéma de genre, et qui a envie de voir un film français qui ose repousser ses limites le plus loin possible. Cependant il reste bon de préciser qu’il n’est évidemment pas adapté aux âmes sensibles.
Le plus psychologique : The Room
Prévu pour le 25 mars 2020 prochain, The Room était présenté en Compétition lors de l’édition 2020 du Festival.
Un jeune couple de trentenaires, Matt et Kate, viennent d’emménager dans leur nouvelle maison. Matt découvre dissimulée sous la tapisserie une mystérieuse porte qui donne sur une pièce secrète. Pièce pas tout à fait comme les autres: chaque désir matériel exprimé devient réalité. L’occasion d’avoir tout ce que le jeune couple a envie. Absolument tout…
Christian Volckam n’aurait pas pu choisir meilleurs acteurs. Une alchimie entre Olga Kurylenko et Kevin Janssens se dégage fortement de l’écran, dans les meilleurs moments comme dans les pires. Tous deux parviennent à faire grimper la folie de leurs personnages au fur et à mesure, et à instaurer une tension montante.
Sans même utiliser (ou presque) de sang, le réalisateur instaure une ambiance angoissante et malsaine qui va de mal en pire au fil des scènes. Le rêve se transforme petit à petit en cauchemar, pour ensuite tomber dans le mindblown, jusqu’à la dernière scène où les interprétations peuvent être multiples.
Ce qui est dommage, c’est que le film a été tourné en langue anglaise, alors que le réalisateurs et les deux acteurs principaux sont francophones.
Pour les friands de cinéma psychologique sans abus de sang, The Room est un film à voir. Rendez-vous le mois prochain dans les salles pour la sortie officielle. Petit conseil: n’allez pas voir la bande-annonce, elle spoile tout le film et gâche toutes les surprises.
Le plus bouleversant: La dernière vie de Simon
Projeté en hors-compétition et dans les salles à partir du 5 février, La dernière vie de Simon est un film fantastique français (et francophone !) réalisé par Léo Karmann.
C’est l’histoire de Simon, un enfant qui grandit dans un foyer. Il a une particularité: il a le don de se transformer en n’importe quelle personne qu’il a touché. Ce talent reste secret entre lui et ses deux amis, jusqu’au moment où un drame lui fera s’en servir de manière irréversible…
Alors que le film démarre sur une note innocente et naïve semblable à un film pour enfant, il va petit à petit tomber dans quelque chose de plus en plus sombre, sans oublier de nous arracher quelques larmes à la fin de la séance. Le réalisateur a effectué un véritable coup de maître: une photographie remarquable avec des plans fixes d’une incroyable beauté, une musique magistrale avec violons et piano signée Erwann Chandon, et un scénario bien ficelé qui retient toute notre attention: le film dure ni trop longtemps, ni pas assez. On ressent une grande inspiration de Spielberg (qui est mentionné dans les remerciements du générique, « même s’il ne le sait pas encore« ).
Mention spéciale à Camille Claris (Madeleine adolescente) qui donne absolument tout dans son rôle, et qui va donner une puissance émotive à son personnage. Bien qu’elle ne soit pas le personnage principal, elle parvient à dominer totalement l’écran.
C’est un film extrêmement touchant et émouvant, on s’attache aux personnages, on arrive à comprendre chacun d’entre eux. On finit par rester cinq minutes dans son siège à la fin du film pour se remettre de ses émotions.
S’il avait été en compétition, ç’aurait été un 4/4 sans aucune hésitation.
Notre cinéma ne se résume pas qu’à des comédies ou des drames. Et ce n’est pas parce-qu’un film est français qu’il va être mauvais. Bien au contraire, cette 27ème édition du festival nous l’a prouvé. Il ne faut pas hésiter à donner sa chance à des films français qui se distinguent.
Et si vous être curieux de voir plus de films de genre français, rendez-vous ici pour avoir la liste de toutes les projections « Dans les griffes du cinéma français » du festival à rattraper.
Et, bien évidemment, on se retrouve l’année prochaine à Gérardmer pour une nouvelle dose de cinéma de genre.
[…] initialement publié sur Radio Campus Lorraine le 8 février […]