DE SAS EN SAS
L’équipe de Box-o-Film a rencontré l’actrice Fabienne Babe suite à l’avant-première du film DE SAS EN SAS, dans les salles à partir du 22 Février.
Pour son premier film en tant que réalisatrice, Rachida Brakni nous ouvre les portes de la prison en adoptant le point de vue des visiteurs et des visiteuses se rendant au parloir. Sujet rare dans le cinéma français (mais pas en littérature ) qui a l’habitude de s’intéresser à ce qu’il se passe de l’autre côté des barreaux, c’est-à-dire du côté des détenu.e.s, comme par exemple dans UN PROPHÈTE (2006, Jacques Audiard) ou plus récemment dans LA TAULARDE (2016, Audrey Estrougo).
Même si le principe du parloir qui permet de maintenir un lien entre les personnes détenues et l’extérieur est connu, son périple pour y accéder l’est moins. En effet, bien que les portes de la prison soient ouvertes aux proches et à certaines associations, une épaisse couche de sécurité entourant le lieu tant convoité devra être traversée par les visiteurs et les visiteuses. Chaque couche, tel un oignon, matérialisée par une pièce, un sas, représente une épreuve à endurer. Il faut franchir les portiques de sécurité, déposer ses affaires aux casiers, aller au linge, poireauter dans une salle inadaptée.
L’attente avant un parloir peut durer deux heures, sans compter le trajet, le tout pour une demi-heure seulement passée avec la personne détenue. C’est ce constat révoltant, celui des conséquences collatérales qu’entraîne le prononcé d’une peine privative de liberté par essence personnelle aux condamnés, qui structure le film.
Alors que des plans rapprochés mettent en scène l’affrontement entre les personnages, les plans séquences eux, au contraire, permettent l’installation des rencontres, des échanges entre les personnalités au combien diverses dans ce film. Le nombre faisant la force, cette palette de personnages enrichit le contenu puisque dans une petite pièce étouffante vont se retrouver de multiples histoires qui se croisent et s’emmêlent. Parmi les visiteuses, il y a le personnage de Fabienne Babe, réservée et inhabituée à cet environnement. L’actrice apporte des précisions sur son rôle et l’histoire qu’elle s’est inventée autour de son personnage pour l’incarner plus justement :
Concernant le cadre, Rachida Brakni a mis ses personnages dans des conditions douloureuses. Les sas, spécialement reconstitués pour le film dans un ancien hôpital psychiatrique désaffecté, en plus d’être délabrés et peu équipés, sont irrespirables en cette période de canicule. Fabienne Babe se souvient de cette chaleur et du lieu de tournage :
La réalisatrice ose la métaphore dans un film, qui par son exhaustivité pourrait s’apparenter à un documentaire, avec des plans inattendus, notamment celui de l’entrée en prison auréolée de lumière illustrant l’idée qu’y rentrer, c’est franchir une barrière spatio-temporelle, comme pénétrer dans un monde à part. Et ce n’est qu’un exemple (il faut laisser des surprises) de cette originalité qui est présente du début à la fin du film, évitant ainsi l’effet documentaire.
Sans étonnement, une des problématiques principales du film est la liberté : la liberté d’aller et venir d’abord mais également d’autres libertés, comme celle vestimentaire ou encore comme la liberté d’action dont le personnel administratif, enfermé dans le règlement intérieur, est privé. S’agissant d’un huis clos pénitentiaire du point de vue de personnes qui ne sont pas condamnées à une peine privative de liberté, impossible pour les spectatrices et spectateurs de ne pas se sentir prisonniers.
D’ailleurs, en jouant sur cet aspect, la réalisatrice pose en creux une seconde réflexion à propos du basculement dans la délinquance. La prison n’abrite pas que des assassins, loin de là. Cette tension due à l’attente interminable dans des conditions exécrables et cette chaleur caniculaire créent chez les personnages des élans de violence, autant du côté des gardiens que des visiteuses, violence qui aurait pu leur causer quelques poursuites pénales, au même titre que les personnes détenues. Comme quoi. Fabienne Babe nous livre sa définition de la liberté :
Libre à vous désormais de vous rendre au Caméo pour assister à une projection de DE SAS EN SAS, ce film militant et captivant.
Agnès PICHON et Joséphine PASIECZNY